À vous tous, flûtistes amateurs ou professionnels.
Je voudrais ici vous parler de mon métier, ma formation, mes envies, mes engagements et ma philosophie dans le travail.
Mais tout d'abord un peu de mon histoire :
Enfant, j'ai posé les bases de ma passion d'aujourd'hui ; je jouais : piano, flûte à bec et traversière ainsi que toutes les flûtes d'Amérique Latine dans divers ensembles.
J'étais aussi un passionné du bricolage (surtout le travail du bois) ce qui m'avait amené à construire une épinette (petit clavecin) avec les moyens du bord.
En 1976, mon bac en poche, je m'oriente vers des études de musicologie à l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg qui à l'époque, outre les études classiques, proposait un cursus diplômant en musique ancienne (ce cursus proposait des cours d'instrument, de jeu d'ensemble et d'étude de traités anciens ainsi que d'analyse, notation et improvisation).
J'ai suivi ces cours avec assiduité et grand intérêt durant quatre ans. Parallèlement, j'ai enseigné la flûte à bec dans diverses écoles de musique strasbourgeoises et joué au sein de plusieurs ensembles en concert.
En octobre 1980, je m'installe définitivement en Provence comme facteur de flûtes à bec avec 15 commandes pour mon premier modèle réalisé quand j'étais encore étudiant : une flûte soprano 17e en 415 (hand-fluit, Van-Eyck). Personne ne fabriquait ce type de flûte en France et l'instrument devenait très demandé, j'avais moi-même cherché à m'en procurer un.
Deux ans plus tard, je proposai trois modèles des plus "classiques" en flûtes solo :
- Hand-fluit 415
- Alto Baroque 415 d'après Stanesby junior
- Ganassi alto en sol 466 et 440
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J'ai continué à enseigner la flûte à bec dans plusieurs écoles de musique locales et donné quelques concerts chaque année.
N'ayant pas de diplômes spécifiques pour l'enseignement de la flûte à bec, je me suis présenté en 1989 au concours et obtins le diplôme d'Etat de professeur de musique ancienne.
Depuis
quelques années
j'ai arrêté mon
activité d'enseignement
pour me consacrer
entièrement à la
fabrication
des flûtes.
Ainsi pour
l'essentiel
s'achève
la description
de ma "carrière".
Je jouis dans mon métier d'une réputation qui me permet d'avoir un carnet de commandes constamment renouvelé sans avoir pour le moment besoin d'assurer ma promotion sur les salons ou autres formes d'exhibitions. Ceci est largement dû à mes choix dans mon travail. Je me sens comme un véritable luthier de la flûte à bec et pour ce faire, je privilégie une production limitée entièrement manuelle. Je suis l'homme d'un instrument chaque fois unique, avec la souplesse que cela permet à chaque instant, jusqu'à parfois l'instrument "magique" que nulle mécanisation ne produira jamais. Je n'aime pas la standardisation et tous les blocages que cela entraîne.
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J'ai aussi besoin de temps pour mûrir une flûte, pour la jouer, la sentir dans son timbre, ses attaques, son homogénéité, son grain particulier et son aisance dans chaque registre. Une flûte neuve bouge beaucoup, vous en savez quelque chose s'il vous est arrivé de rôder des instruments. Le bois prend sa place petit à petit au fur et à mesure que le souffle humide lui rend la vie. Comment pourrais-je ne pas attendre cette renaissance du bois avant de vous délivrer mon oeuvre. Pour ce faire, je joue chaque flûte une dizaine d'heures en autant d'étapes et de retouches avant de vous l'envoyer.
Ces opérations qui demandent une concentration maximum fatiguent l'oreille et l'esprit. La flûte à bec n'est pas un instrument facile à réaliser et à comprendre (tous les acousticiens s'y cassent les dents) car contrairement aux hautbois, clarinettes, flûtes traversières, cuivres etc. nous construisons le son dans le bec de la flûte et cette construction nécessite des ajustements extrêmement précis de l'ordre du dixième de millimètre (imaginez qu'effleurer l'arête d'un chanfrein à la sortie du canal avec un abrasif des plus fins suffit à modifier totalement le son).
Flûtiste à l'origine, j'ai trop souffert d'avoir à jouer sur des flûtes qui souvent avec un très beau registre sur une octave n'en étaient pas moins impraticables pour le reste de l'étendue sans de multiples contorsions, ce qui est bien entendu préjudiciable à la nécessaire détente dans l'expression.
Mon premier engagement est d'emblée de fournir des instruments qui "jouent" et qui jouent pour longtemps. Cela implique pour moi ces notions fondamentales : Stabilité, homogénéité, aisance des attaques, justesse, beauté du timbre.
Mon deuxième engagement est de rester à l'écoute de vos désirs (esthétiques, physiologiques, sonores, mé-caniques...) et d'assurer le suivi et l'entretien de votre instrument. Pour cela encore, il faut du temps.
Mon troisième engagement est de m'éloigner aussi peu que possible des instruments originaux mis à part l'ajustement du diapason, la possibilité d'avoir certaines flûtes en deux parties afin de faciliter l'accord ou encore quelques doubles trous sur les flûtes baroques.
Néanmoins je veux reconstituer au plus près les instruments tels qu'ils existaient pour jouer la musique de leur époque, ce qui, j'en suis intimement persuadé, vous aide à l'interpréter au plus juste. Ceci ne limite en rien l'élaboration d'une flûte différente, moderne pour la musique d'aujourd'hui.
Pour cela je vous invite à jouer avec les doigtés anciens, les tempéraments méso-toniques, pythagoriciens, werkmeister etc. Pour cela aussi, j'utilise les bois européens (buis, érable et fruitiers), je teinte, traite et huile selon les traditions qui ont fait leurs preuves, ceci dans le but d'éviter la flûte standard pour une musique qui ne l'est pas. Et je crois fermement, en tant que flûtiste aussi bien qu'en tant que facteur, que les possibilités aussi bien que les limites de chaque flûte vous aident à transcender ces musiques.
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Vous aussi êtes acteur du développement harmonieux de votre flûte. Votre façon de la rôder et de la jouer, le soin que vous apportez à son entretien, transforment sa sonorité et ses possibilités dans votre sens ; cette magie du jeu qui fait que, tout comme une bouteille de bon vin, rien ne vaudra votre flûte bonifiée par le temps, comme le dit si bien Quantz dans son traité.
Je voudrais aussi vous inciter à explorer les possibilités de votre instrument au-delà de ce que je peux vous offrir en tant que facteur et ajouter votre touche personnelle.
Ce sera votre travail associé au mien qui fera de votre flûte un instrument unique. Je suivrai votre flûte au fil des années pour la maintenir dans la meilleure forme possible. C'est aussi ce contact avec vous flûtiste que je souhaite. Mieux je vous connais dans votre façon de jouer et mieux je peux travailler avec vous. Grâce à vous aussi je fais évoluer constamment mon travail.
J'ai la chance d'avoir la confiance de nombreux flûtistes qui jouent quotidiennement mes flûtes au plus haut niveau, enregistrant des disques, se produisant en concert ou enseignant.
Ils sont pour mon art la plus belle des vitrines et je les en remercie.
J'espère vous avoir fait partager mes envies d'une production limitée à caractère intime privilégiant le côté chaleureux et personnel à la quantité standardisée.
Depuis plus de vingt ans je tiens ce difficile équilibre dans une économie de marché qui ne comprend plus la notion de temps, ni celle de "bel ouvrage", je tiendrai bien encore vingt ans...
Merci à vous tous.
Chaleureusement,
Bruno
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